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Quand Luc De Larochellière a mis la touche finale à Un toi dans ma tête, il savait qu’il avait entre les mains une œuvre solide. Jamais il ne se serait douté, cependant, que son huitième album se hisserait au sommet du palmarès. Juste retour des choses pour cet infatigable créateur, confiné depuis trop longtemps à des succès d’estime.

 

Luc De Larochellière est incrédule, mais tout sourire : « en quelques semaines, on a écoulé plus de copies du nouveau disque qu’on en a vendu du précédent ! » La situation actuelle fait curieusement écho aux débuts du chanteur. On s’en souviendra, De Larochellière est entré dans le showbiz par la grande porte. Notre homme a tout juste 20 ans lorsqu’il triomphe au Festival de la chanson de Granby. Deux ans plus tard, il lance Amère América (1988), qui s’écoule à 50 000 exemplaires. Il remet ça avec Sauvez mon âme (1990), salué par 150 000 paires d’oreilles. Or à partir de Los Angeles (1993), ça tourne au ralenti. Bien sûr, il continue de se produire, d’être le fin observateur qu’on connaît et d’explorer diverses avenues stylistiques, mais Les Nouveaux héros (1996), Vu d’ici (2000) et Quelque chose d’animal (2004) sont moins remarqués.

 

Ses vieux succès, que la radio continue de faire jouer, portent même ombrage à ses nouvelles compositions. « C’est hyper frustrant, reconnaît le principal intéressé, sans toutefois cultiver d’amertume. Bien sûr, je peux me consoler en me disant qu’il y a eu des périodes où j’ai vendu des disques. Ce qui a un peu faussé la donne dans mon cas, c’est que j’ai vécu ça très jeune et le côté “vendeur de disques” s’est évaporé avec le temps. Honnêtement, je ne pensais pas que ça reviendrait. »

 

Un « moi » sur papier

Avant de commencer à travailler sur Un toi dans ma tête, De Larochellière s’est demandé si ça valait le coup d’entrer en studio une énième fois. L’artiste voulait aussi identifier ce qu’il avait à partager. Sa conclusion? Il devait s’éloigner des concepts pour faire place à ce qu’il y avait au fond de lui. Les séances de création débutent à l’été 2007. Partant de flashes colligés dans un cahier, comme les lignes « rage dedans » ou « un toi dans ma tête », il décide, pour la première fois, de pondre les textes avant les musiques. Il déménage d’autre part son lieu d’écriture dans un resto-bar montréalais, La Petite Marche. « Je voulais me sortir de mes affaires, explique-t-il. À la maison il y a toujours mille et une choses à faire – c’est le principe de la procrastination. Là, je mettais des feuilles et des crayons dans mon sac à dos et je partais. Je n’avais pas d’ordi, pas de télé pour me distraire. Dans ce temps-là, tu regardes le monde vivre et tu te mets à écrire. »

 

De Larochellière s’est toujours dirigé vers le même endroit, comme s’il allait au bureau. Que l’établissement soit vide ou complet, il s’y asseyait et se constituait une bulle virtuelle, propice à l’incubation des chansons. C’est ainsi qu’il a donné forme à son album le plus personnel à ce jour. Certes, il avait opté pour l’introspection précédemment, mais jamais il n’a laissé tomber la pudeur comme dans ses récentes pièces, où il aborde de douloureuses ruptures amoureuses, non sans poser un regard sur certaines thématiques sociales.

 

Cordes sensibles

Pour transcrire ses émotions au plan musical, Luc De Larochellière a opté pour une facture folk, magnifiée de cordes, de bois et de cuivres. Il a renoué avec son complice de toujours, le guitariste, producteur et arrangeur Marc Pérusse, auxquels se sont ajoutés de nouveaux collaborateurs, tels le claviériste François Lafontaine (Karkwa), le batteur Justin Allard ou l’orchestrateur Anthony Rozankovic. « Je voulais arriver avec un son actuel, mais intemporel, précise-t-il. […] C’est un mélange de musiques folk nourries à une tradition orchestrale classique – un peu à la façon des vieux albums de Nick Drake. »

 

La teneur intimiste du projet est telle qu’on a convaincu l’auteur-compositeur-interprète de sortir ses talents de dessinateur afin d’illustrer la pochette et le livret du disque. Bonne idée : ses feutres ont fait naître cette silhouette ornant la couverture, où le « toi » du titre apparaît à l’intérieur de son crâne. Fort à l’aise dans l’approche acoustique qu’il a privilégiée – quoiqu’il assure ne pas avoir enterré le rock – Luc De Larochellière transporte maintenant ses pièces sur la route, flanqué d’un trio de multi-instrumentistes. Une route qui pourrait être longue, compte tenu du succès d’Un toi dans ma tête. « Jamais je ne me suis autant foutu de la radio qu’avec cet album-là et, à ma grande surprise, “Beauté perdue” [le premier extrait] a connecté avec le monde… Ça vaut la peine de ne pas lâcher! »