Depuis quelques années, Vincent Gagnon s’amuse à bousculer les idées reçues à propos du jazz. Un genre qui nourrit mal son homme? Un style qui ne peut se pratiquer en dehors des métropoles? Pas pour le pianiste de Québec, dont l’album Bleu cendre, a été célébré par la critique. Il ne se passe pas une semaine sans que Vincent Gagnon ne monte sur scène. Tour à tour en duo, en trio et, quoique moins souvent qu’il ne le souhaiterait, en quintette. Le musicien est aussi fort en demande à titre d’accompagnateur, notamment pour les chanteuses Annie Poulain et Virginie Hamel. « Le fait que je sois pianiste me sauve, car il n’y a pas beaucoup de pianistes de jazz à Québec, » affirme modestement l’artiste de 34 ans.

 

On s’en doute, Gagnon n’a pas un horaire chargé simplement parce que la chance lui sourit. Il a su se faire un nom grâce à une approche qui est sienne, mélodique, aérée, sentie. Autant de qualités qui transparaissent dans son premier enregistrement, paru l’an dernier, et qui ne sont pas passées inaperçues lors de ses performances. Gagnon a en effet raflé le prix Étoiles Galaxie de Radio-Canada au Festival International de Jazz de Montréal, en 2009, puis le prix Résidence — ville de Québec, à la récente bourse RIDEAU.

 

Du métal au jazz

 

Vincent Gagnon plonge dans les eaux du jazz sur le tard. Apprivoisant le piano classique dès l’âge de sept ans, l’artiste originaire de Matane bifurque vers le métal et le punk durant son adolescence pour ensuite s’éloigner quelque peu de son instrument au profit d’études en génie, à l’Université Laval. Durant cette période, un ami guitariste l’initie au jazz et ils commencent à se produire en duo. Le pianiste apprécie tellement son expérience que même s’il complète son bac et se déniche un emploi, il ne perd plus la musique de vue. « À un moment donné, il y a eu des coupures de postes et je me suis retrouvé en chômage, alors j’ai dit à tout le monde [dans le milieu musical] que j’étais disponible en tout temps. Finalement, je ne me suis jamais rendu au bout de mes semaines de chômage! »

 

Gagnon veille à affiner son jeu avec des musiciens de la scène locale, de même qu’avec deux pianistes bien connus, Steve Amirault et Alan Broadbent, si bien qu’au tournant de 2005, il met de l’avant une signature affirmée. Parmi ses influences on retrouve différents maîtres de la note bleue tels Red Garland, Keith Jarrett, Lennie Tristano ou McCoy Tyner. Sa favorite reste toutefois une chanteuse : Billie Holiday. « Ce n’est pas que je n’aime pas ce qui est complexe, mais je préfère écouter Billie Holiday, première période, indique-t-il. Elle couvre environ un octave, n’a pas un instrument rapide –ça n’a rien à voir avec Ella Fitzgerald- sauf qu’elle fait un maximum avec ce qu’elle a. Il y a quelque chose qui fait que le message est vraiment clair et peut être compris autant par un mélomane que par quelqu’un qui ne connaît pas énormément la musique. »

 

Leader malgré lui

Gagnon l’admet, il était confortable dans son rôle d’accompagnateur ainsi que dans les groupes où il pressait les touches d’ivoire et d’ébène sans avoir à jouer les leaders. Or quand il a décroché une bourse qu’il ne croyait jamais obtenir, le créateur et le meneur en lui ont dû s’affirmer : il s’est mis sérieusement à l’écriture et a formé un quintette constitué de jeunes talents et de vétérans en compagnie de Guillaume Bouchard (contrebasse), Alain Boies (saxophones), François Côté (batterie) et Michel Côté (saxophone, clarinette basse). Bien que son ensemble porte son nom, les réalisations du pianiste sont le fruit d’un travail d’équipe. Il mise en effet sur des pièces qui laissent beaucoup de latitude à ses complices pour qu’ils s’expriment.

 

« Les compositions, c’est une chose, mais ce que j’aime, c’est avoir un espace pour créer un son en groupe, précise-t-il. Ce n’est pas tout l’écriture; c’est ce que les gars en font. » Devant l’accueil favorable réservé à son travail, Vincent Gagnon planche déjà sur son prochain album, pour lequel il a demandé à différents poètes de lui pondre des textes. Son idée? S’inspirer de ces vers, tant au plan de la création que de l’interprétation. Le jazzman tente par ailleurs de mettre sur pied une série de concerts en Europe et mijote un nouveau projet avec l’ex-leader des Goules, Keith Kouna. Entre-temps, il continue de se produire avec son Pho Trio, qui s’amuse à revoir le répertoire de Gainsbourg; avec La voix Ferré jazz, où il revoit la poésie de Léo Ferré avec Nathalie Lessard, et, bien sûr, en mettant son propre répertoire à l’honneur. « Je vais être papa bientôt, alors je commence à faire des choix pour ne garder que ce qui est essentiel. Je sens que je vais être occupé… »