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Comédien, musicien, compositeur (une centaine d’oeuvres), inventeur et bricoleur, mais avant tout conteur, Jocelyn Bérubé cumule cette année plus de 40 ans de carrière. Louise de Grosbois et le festival La Grande Rencontre ont, en quelque sorte, profité de l’occasion pour lancer, l’été dernier, un coffret de trois DVD réunissant des entrevues et des prestations sur scène. Déjà, en 2007, les Productions Micheline Sarrasin/Disques Tempête avaient réédité, sous format numérique, ses deux microsillons Nil en ville et La Bonne Aventure, sortis respectivement en 1976 et en 1980, sous le titre Le retour de Nil.

Au fil des ans, l’artiste originaire de Saint- Nil, en Gaspésie, nous a donné de quoi nous émouvoir, réfléchir, nous bidonner, nous laisser porter par notre imaginaire et nous captiver à travers ses rôles marquants sur scène, au petit écran et au cinéma, dans des productions phares comme La Raccourcie ; Les Fils de la liberté ; L’Héritage ; Le Temps d’une paix ; J.A. Martin, photographe ; Les Fous de Bassan ; L’Homme à tout faire… Sans oublier Le Grand Cirque ordinaire, où tout a réellement commencé. « Une troupe de théâtre qui a été pas mal ma formation. Ça m’a donné ma voie, ma place, ça m’a donné mon chemin. […] Le théâtre populaire, dans le vrai sens du terme, il n’y a pas beaucoup de monde qui fait ça. »

La folle aventure terminée et porté par l’élan nationaliste des années 70, il se découvre une grande passion pour le conte et pour le violon et décide de redonner vie, à sa manière, à cette tradition ancestrale. « J’ai commencé en me disant : Je ne gagnerai jamais ma vie avec ça. Mais ça va être le fun. Le conte, c’était la liberté ! La liberté, c’est pas évident. La liberté, c’est pire, des fois, que la prison. La prison, t’es bien, parce que tout le monde te dit quoi faire. Bon. Je ne veux pas dire que t’es mieux en prison… C’est une image. Mais la liberté, ça t’oblige à beaucoup de choses. Il faut que tu t’assumes. Ça coûte cher, des fois. C’est pas donné gratis. Moi, j’aimais ça, parce que c’était jamais pareil. »

Un plaisir qu’il partagera avec un nombre grandissant d’adeptes… jusqu’à la déprime post-référendaire. « Moi, je pensais que le conte allait disparaître. Dans les années 80, je me disais : Ah ! C’est fini. C’était le bon temps, c’était le fun. Il y a eu une bonne période, puis… c’est normal. Le rap est entré. La parole devient autre chose. Au contraire ! Après le creux de la vague, ç’a remonté dans les années 90.

Deux grandes tournées de high schools et de circuits américains du folk lui permettent alors de consolider son savoir-conter et de prendre conscience du réel intérêt que suscite cet art. Particulièrement à l’étranger. S’ajoutent ainsi à sa feuille de route l’Europe, le Moyen-Orient, le Maghreb, l’Afrique subsaharienne. « Du monde extraordinaire ! J’ai entendu des musiques, là, que je n’avais jamais entendues. »

Jocelyn Bérubé déplore toutefois le fait que la culture anglo-saxonne soit en train de déloger, dans de nombreuses régions, l’héritage français et les cultures locales riches et diversifiées. « Tu sens que le tissu se désagrège tranquillement. Moi, ça me fait de la peine. C’est toute la francophonie qui perd beaucoup. Ce sont des pays importants, de grosses cultures avec des traditions formidables qui enrichissent la francophonie. Mais si tu la perds tranquillement, bien, c’est toute la culture… c’est aussi notre culture à nous qui s’appauvrit. C’est une solidarité. L’influence des autres cultures, on a besoin de ça ! »

Mais loin de lui la fermeture aux changements. Le slam, par exemple. « C’est une excroissance du conte, de la poésie. Il s’est formé un art nouveau là-dedans, qui est vieux comme le monde, mais différent. C’est réinventé. C’est urbain. C’est formidable ! »

Il n’y a jamais rien qui disparaît ; ça renaît, tout en se transformant, remarque le lauréat du Prix du Mérite du français dans la culture, que lui remettait l’UNEQ en 2009. Demeure qu’un conte, souligne-t-il, est une histoire inventée et par le conteur et par celui qui se fait conter l’histoire ; c’est retourner à notre essence, donner vie à notre imaginaire. « La première fonction du conte, c’est d’ouvrir l’esprit, de le laisser partir en voyage puis de faire confiance à celui qui t’amène ; il va te ramener. »

« Il y a des soirs où la magie passe ; t’es à la hauteur du talent du public. » Demeure que ce grand fan de Karkwa — « Un des groupes qui donne une autre dimension à la musique populaire ; il n’y en a pas beaucoup » —, se dit heureux d’avoir vécu à son époque. Car, malgré la multitude de festivals, consacrés au conte et à la chanson, il trouve que c’est loin d’être facile pour les jeunes, aujourd’hui, de se lancer dans les métiers de la scène. Parmi ses admirateurs, outre son grand ami Michel Faubert, le conteur-violonneux a fait quelques émules, dont Fred Pellerin, ou encore cette petite fille de 7-8 ans à qui il aurait donné le goût du violon, un jour dans une école sur les rives du Richelieu. Il y faisait une animation en invitant quelques jeunes à venir jouer sur scène des instruments qu’il intègre à ses histoires. Des instruments qu’il invente à partir d’un bâton de hockey ou de baseball avec le désir de retrouver les sons dissonants d’antan où, dans les familles et sur les chantiers, « on jouait à l’oreille avec le coeur plein de pouces ». Grâce à lui, donc, ses parents lui ont offert des cours et elle désire, dit-on, devenir violoniste. « Tout cela à partir d’un bâton de hockey ! Si ça donne une carrière, ç’aura au moins semé ça ! » Pendant ce temps, Jocelyn Bérubé poursuit son chemin avec, dans ses bagages, plusieurs projets, une foule d’histoires inventées et une horloge indiquant toujours l’heure du conte.