Attiré depuis l’enfance par la liberté intellectuelle et créative qu’il associe à l’Amérique du Nord, Laurent Eyquem débarque à Québec au début des années 1990 avec comme but de se faire accepter comme immigrant. Le douanier n’en revenait pas! Pas qu’un Français veuille venir vivre chez nous, mais près de 100% des futurs Québécois arrivent par Montréal…

C’est d’ailleurs dans la métropole qu’Eyquem réalise qu’il devra s’installer puisqu’il désire travailler dans une entreprise humanitaire. Oui, malgré des études de musique classique (en piano et orchestration) dans un conservatoire bordelais et un père clarinettiste à l’Orchestre symphonique de Bordeaux, sans compter ses rêves de jeunesse de faire de la musique à l’image, il décide de travailler plusieurs années en communications, d’abord pour la Croix-Rouge, puis pour Vision mondiale.

Il va beaucoup voyager pour les deux ONG, avant de vivre une série d’événements dramatiques qui lui font prendre une toute autre direction. En 2000, son unique sœur meurt dans l’écrasement d’un Concorde. En 2003, décès de son père. Pour Noël de la même année, il invite sa mère à venir passer les Fêtes à Ste-Adèle où il réside alors. Pour mieux l’accueillir, il monte sur le toit de sa maison poser des guirlandes de lumières. Et c’est l’accident, une chute de 10 mètres et une terrible blessure au bras droit et aux deux jambes. Opérations, physiothérapie, et près de trois années de travail seront nécessaires pour retrouver l’usage du bras et de la main ainsi que sa dextérité de pianiste.

Entre-temps, Laurent Eyquem ressent le besoin de revenir à plein temps à la musique pour exprimer toutes les émotions qui l’habitent à la suite de cette série noire. Comme son oncle vit en Californie et qu’il y a passé de nombreux étés, il lorgne bien sûr ce méga marché et a même failli devenir stagiaire en 1992 pour Georges Delerue (Jules et Jim, Platoon), installé à L.A. Deux mois avant son arrivée, décès de Delerue, un des grands compositeurs de musique à l’image qui ont bercé sa jeunesse, avec Vladimir Cosma, Francis Lai et Maurice Jarre. Rendez-vous manqué!

Comment tout a débuté ici? « Je venais de terminer des musiques pour des publicités et des documentaires, que Léa Pool avait aimées. Elle m’a approché et c’est comme ça que j’ai eu la chance de travailler sur Maman est chez le coiffeur. » Sa méthode? « J’ai décidé d’investir. J’ai refusé par la suite de travailler en pub, et j’ai sélectionné les projets qui me permettaient d’enregistrer avec orchestre. J’aime les beaux films, les belles histoires, ça m’inspire. C’est ma récompense, parce que c’est beaucoup d’efforts, beaucoup de sacrifices. »

Parmi ceux consentis par Laurent et sa femme : se passer de vacances pendant desannées, et investir tout l’argent gagné par Laurent pour qu’il fasse l’aller-retour à Los Angeles tous les mois pendant des années, histoire de faire son travail d’autopromotion et surtout de se décrocher un agent. « Il existe aux États-Unis des associations comme Film Music Network, qui offrent des séances d’écoute de nos musiques, avec commentaires. On doit payer, mais c’est un bon investissement. C’est ainsi que j’ai rencontré l’agent Jeff Kaufman (Rachel Portman, Gabriel Yared). Quand j’ai signé avec lui, on a surtout pris des décisions stratégiques ensemble : ne pas faire de télévision, par exemple, me concentrer sur des musiques dramatiques. J’ai eu ainsi la chance d’être découvert par les vice-présidents de Warner Bros., ce qui me permet, aujourd’hui, de figurer sur la liste des compositeurs pouvant être appelés à travailler sur les films du studio. »

Bizarrement, même les gros projets québécois cherchent à engager des compositeurs ayant le sceau d’approbation de Hollywood, selon Eyquem. « Si on a la réputation de satisfaire leurs critères, les producteurs savent qu’ils engageront quelqu’un ayant une bonne éthique de travail, capable de livrer en temps, etc. » Pour French Immersion, de Kevin Tierney (Bon cop, Bad cop), comme pour A Million Colours de Peter Bishai, en passant par Winnie de Darrell Roodt, avec Jennifer Hudson, Laurent Eyquem n’a probablement eu qu’une exigence fondamentale : enregistrer avec de vrais musiciens, préférablement un orchestre. « Je travaille de près avec la Guilde [des musiciens et musiciennes du Québec], et j’ai l’aide de Josée Marchand, une hautboïste, pour identifier les musiciens parfaits pour l’émotion ou la vitesse d’exécution requises. Quand on enregistre trois ou quatre minutes de musique par heure et que j’ai 45 à 65 minutes de musique dans un film, cela coûte cher. On n’a pas les budgets pour reprendre indéfiniment. Je tiens, même pour des projets à l’international, à retourner l’ascenseur au Québec qui m’a offert ma première chance. Je travaille donc énormément avec des musiciens d’ici, de l’Orchestre symphonique de Montréal, des Violons du Roy, d’I Musici. Je dirige également l’orchestre. »

Pourquoi de vrais musiciens? « L’âme que met un musicien qui a 15-20 années de métier, c’est incomparable. On ne peut retrouver ça dans la musique offerte par les logiciels. Et les réalisateurs et producteurs que j’ai convertis aux vrais orchestres, comme Nicole Robert -avec qui j’ai collaboré pour La peur de l’eau de Gabriel Pelletier – ne jurent maintenant que par ça. » Son prochain projet, après Winnie et les films en postproduction? « Je travaille sur une coproduction, Sleight of Hands, de Brad Mirman, qui mettra en vedette Gérard Depardieu, Kiefer Sutherland, Johnny Hallyday et Mel Gibson. Une comédie. » De quoi se rapprocher encore plus près de son rêve d’être le prochain Maurice Jarre. Un conseil aux jeunes compositeurs qui voudraient se faire connaître? « Il y a une expression anglaise qui dit à peu près : Plus je travaille fort, plus je suis chanceux. » C’est comme cela que se termine notre long entretien au téléphone. De L.A., bien sûr.