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Philippe B est de ceux qui décortiquent, creusent, fouillent et peaufinent sans relâche avant d’arriver à la livraison d’un album. La preuve, c’est ce troisième album de chansons folk, Variations fantômes, un titre qui révèle un procédé unique, une contrainte imposée qui apporte un lustre singulier à la galette. « Variations fantômes, c’est le titre officieux de la dernière œuvre de Schumann, peu connue et éditée tardivement. J’étais habité par ce compositeur qui, à la fin de sa vie, entendait des voix. Il était très troublé par ces nouvelles présences qui lui ont dicté sa dernière œuvre. Il a même réalisé une tentative de suicide, a été interné. Bref, la création ne suivait pas son processus normal… Je suis conscient aujourd’hui d’être à l’opposé de ce Schumann, guidé par des voix. Je suis très cérébral dans mon processus. C’est lent, c’est fastidieux. Tout doit avoir une raison. »

La manière B
Ce lien avec la musique classique s’impose une première fois par nécessité sur ses albums précédents. Philippe B, qui enregistre seul à la maison, meuble ainsi deux pièces avec des envolées orchestrales classiques. Puis à la suite d’une soirée et d’un heureux commentaire d’un collègue musicien, il ressent une envie d’employer ce style musical et son histoire comme fil d’Ariane sur l’ensemble d’un disque. Pour chacune des pièces de Variations fantômes, une pièce baroque ou romantique a été savamment étudiée et digérée. Le choix des extraits, dont le Carnaval des animaux de Camille Saint-Saëns, Mort et Transfiguration de Richard Strauss, Nocturne de Debussy, La pathétique de Piotr Tchaïkovsky, a également dirigé les thématiques d’écriture. Exposer le processus créatif d’une chanson permet de comprendre l’ampleur du travail que « la manière B » commande. « J’écoutais Les quatre saisons de Vivaldi, une œuvre qui au départ me semblait trop visitée, trop connue. Mais le segment de “L’été” m’a réellement inspiré, car c’est le mouvement le plus sombre, le plus triste, écrit tout en mineur. À priori, cela semble étrange si on pense aux clichés de l’été. Je me suis demandé quelle était la perception de l’été pour Vivaldi, pourquoi c’était aussi sombre. Je me suis ensuite questionné sur comment moi, je vivais un été triste. Et j’en ai fait une chanson. J’ai aussi emprunté accords et mélodie, tout l’adagio, pour mon couplet. Tu vois, sur ma chanson “L’été”, il n’y a pas d’échantillonnage, mais je respecte ma contrainte. »

Il serait facile d’imaginer Philippe B comme un féru de musique classique, mais le principal intéressé nie la chose. L’homme est de ceux qui n’ont visiblement pas peur de se retrousser les manches. Malgré un concept qui a dicté une direction précise, les fondations de Variations fantômes demeurent la chanson douce et amère, un folk bien mené, qui réussit à allier un ton intime à des moments orchestraux bien placés, bien dosés. Tout le doigté de Philippe B tient ici à rendre la contrainte presque invisible pour le néophyte. « C’était très important pour moi d’en faire un album personnel. Car avec le temps, j’ai constaté que les chansons qui fonctionnent le mieux sont celles qui sont le plus proche de ma vérité. Un concept, ça doit être utilisé comme échafaudage que l’on peut enlever après la construction. Il faut qu’au final, l’édifice se tienne tout seul. Et idéalement, qu’on ne se rende même pas compte à la première écoute que le concept existe. On s’émeut et puis après, si on creuse, il y a de la matière. » Car derrière les nombreux clins d’œil à une musique d’autrefois se cache une peine d’amour, un « cœur sur la corde à linge ». Variations fantômes est aussi un disque sur la rupture amoureuse et la douleur que l’on éprouve face à l’absence de la tendre moitié.

L’effet du temps
L’entreprise Variations fantômes révèle également l’expérience et la maturité que l’auteur-compositeur-interprète a acquis au fil des ans. À ses débuts, Philippe B se distingue comme chanteur au sein de Gwenwed, défunte formation pop atypique où il fait ses classes dans les années 2000. « J’ai beaucoup appris sur moi dans ce processus collectif. J’ai vite compris ce que je faisais de bien et de moins bien. Et je me suis débarrassé de certains boulets. » Puis, l’aventure en groupe terminée, l’homme préfère la liberté d’un projet solo. Parallèlement, il débute des collaborations qui marquent sa vision actuelle de la musique. Du lot, il y a cette précieuse affiliation avec Pierre Lapointe que Philippe accompagne en spectacle et avec qui il coécrit quelques chansons – pour Pierre, mais également pour Stéphanie Lapointe. Le créateur s’est également impliqué dans la démarche d’écriture de Salomé Leclerc qui sortira son premier disque sur Audiogram cet automne. Car peu importe où il va, Philippe B chérit la valeur d’une chanson, et ce chemin souvent épineux vers le joli phrasé.